"Refaire briller les yeux des professionnels du monde de l'enfance"

Interview de Nathalie Jacquier et Delphine Eminet

Emilie Cornern / Publié le 3 janvier 2023

7 min de lecture

Elles se ressemblent comme deux sœurs, vibrent avec la même énergie, finissent les phrases l’une de l’autre. Leur rencontre semblait être écrite. Douces et déterminées, Delphine et Nathalie, fondatrices d’Adélie des Mots, rejoignent cet automne l’équipe du CFA d’EDACADEMY pour former les alternants au double cursus CAP AEPE/Montessori. Une chance pour les apprentis de cette première promotion !

Après s’être lancées dans l’aventure Montessori il y a 10 ans avec la création d’une communauté enfantine en Haute-Savoie, Delphine et Nathalie partagent depuis 2020 leur expertise avec les professionnels de la petite enfance. Leurs formations initiales complémentaires et leur sensibilité leur permettent d’incarner la posture Montessori tout en plaçant le rapport aux familles au cœur de leur pratique.

Après de nombreuses années passées à expérimenter cette pédagogie sur le terrain avec 16 enfants, elles sont conscientes des problématiques et des enjeux du secteur. C’est donc tout naturellement qu’elles ont décidé de partir à la rencontre des professionnels de la petite enfance et des porteurs de projets pour les aider à aménager leurs environnements, partager au sujet de leur pratique et trouver des solutions pour améliorer le bien-être des petits et des grands dans les structures d’accueil. Un travail d’utilité publique à l’heure actuelle !

EDACADEMY : Pouvez-vous revenir pour nous sur votre parcours avant la création d’Adélie des Mots ?

Nathalie : Je suis éducatrice spécialisée depuis 2001. J’ai travaillé pendant une quinzaine d’année dans différents types de structures et auprès de différents publics (enfants, adultes, seniors) avec une spécialisation dans le handicap moteur cérébral. Après la naissance de ma première fille en 2004, j’ai commencé à m’investir dans une crèche parentale alternative en parallèle de mon activité professionnelle. A la naissance de mon troisième enfant, j’ai pris la présidence de la crèche associative pendant mon congé parental. J’ai eu l’occasion de faire des remplacements en tant qu’éducatrice de jeunes enfants. Des moments riches en rencontres, et en réflexion !

Delphine : Je suis sage-femme depuis 2003. Après une année passée dans un hôpital de Savoie, je me suis rapidement installée en libéral dans un village au bord du lac d’Annecy. Je pratiquais un suivi global des femmes avant et après la naissance. J’exerçais dans un village où les gens étaient proches de la nature. Ils se posaient donc des questions autour de l’éducation alternative, ce qui m’a conduite à aborder au sein de mon cabinet les thèmes du portage, des couches lavables, des pédagogies alternatives… bien avant que ces sujets ne soient à la mode. Lors de mon congé parental après la naissance de mon premier enfant en 2008, j’ai eu l’occasion de rencontrer une éducatrice Montessori de l’École de la Vie à Pringy. J’y ai inscrit mon fils en communauté enfantine.

Découvrir la pédagogie Montessori a été un enchaînement de claques, car il a fallu détricoter tout ce que j’avais pu apprendre sur l’enfant pendant mes études pour construire une nouvelle vision, avec mon fils comme maître d’apprentissage !

Après la naissance de mon deuxième enfant, j’ai appris le départ de l’éducatrice Montessori de la communauté enfantine où était gardé mon fils. Avec une autre maman, nous avons eu envie de reprendre les rênes de cette structure, mais nous ne savions pas sous quelle forme juridique. C’est pendant cette période de questionnement que j’ai rencontré une présidente de crèche nommée Nathalie ! Nous étions alors début 2013 et dans le même questionnement vis à vis de nos vies professionnelles.

EDACADEMY : Cette rencontre a donc été un vrai coup de cœur professionnel ?

Nathalie : Oui, un coup de foudre réciproque ! C’est à ce moment-là que j’ai compris où était ma place. Cette rencontre aura 10 ans en janvier et on ne s’est plus quitté depuis ! Le projet s’est concrétisé avec une MAM (Maison d’Assistantes Maternelles) que nous avons appelé Le Nid d’Onorés. Celle-ci a pris la forme d’une communauté enfantine (de la marche assurée à l’entrée à l’école maternelle) car nous souhaitions vraiment que la vie pratique, avec la préparation des repas, du pain… soit au cœur du projet. Nous étions 4 assistantes maternelles pour accueillir 16 enfants. Cette structure est née en janvier 2013 et a fermé en juillet 2020 suite au premier confinement.

EDACADEMY : Qu’avez-vous mis en place au Nid d’Onorés ?

Nathalie : Pendant toutes ces années, nous avons accompagné les enfants et les familles au quotidien en plus de la gestion administrative et pédagogique. Nous nous sommes formées dès le départ en pédagogie Montessori. Nous avons fait partie de la première session de formation d’assistant 0-3 ans de l’ISMM en France avec Patricia Spinelli et Isabelle Séchaud. Nous avons ensuite expérimenté au fil des années, allant de grands questionnements en petites victoires.

Delphine : Nos premières réunions duraient des heures, nous avions vraiment une démarche de chercheuses, à tout décortiquer !

Ces années nous ont permis d’expérimenter dans notre cœur comment accompagner au mieux les enfants en étant bienveillante, en respectant leur potentiel, leur autonomie… Un vrai défi au quotidien avec 16 enfants !

Nous avons eu envie d’avoir un œil extérieur avec des supervisions de l’ISMM, et le retour a été surprenant et positif, car pour eux la mise en œuvre de la pédagogie était aboutie. Cela a été un grand tournant dans notre façon d’envisager les choses. C’est à partir de ce moment-là que nous avons commencé à avoir envie de transmettre ce que nous avions appris.

EDACADEMY : Comment avez-vous évolué au fil du temps ?

Nathalie : Ces années auprès des enfants ont été belles à vivre. Nous travaillions vraiment en transversalité avec eux, et nous nous sommes sentis au bon endroit, au bon moment.

Nous avons aussi beaucoup travaillé avec les familles, cela nous a paru essentiel. Bâtir la confiance était une priorité, car pour la plupart des enfants l’entrée à la MAM était le moment de leur première séparation avec les parents. Nous avons pu soigner la relation aux parents grâce au format de la Maison d’Assistantes Maternelles qui nous le permettait. Nous ressentions un réel besoin de comprendre des parents, c’est ce qui nous a donné envie de transmettre. C’est donc naturellement que nous avons commencé à intervenir au domicile des familles pour les conseiller sur la mise en place d’un environnement préparé adapté à l’enfant à la maison.

Delphine : Le contexte général au moment du confinement et les évolutions dans les vies personnelles de chacune d’entre nous nous ont décidé à fermer la structure en 2020. Notre seul regret est que Le Nid d’Onorés n’existe plus aujourd’hui.

Nous avons suivi une formation de formateur en 2020 pour maîtriser les codes du secteur. Notre entreprise de formation, Adélie des Mots, est née en janvier 2021.

EDACADEMY : Comment se répartie votre activité aujourd’hui ?

Delphine : Nous nous sommes rapprochés de l’ISMM avec notre nouveau statut de formatrices. Aujourd’hui, nous avons la joie de pouvoir transmettre notre expertise pratique aux apprenants de chacune de leurs promotions en 0-3 ans, quelques jours chaque année. Ces moments sont extrêmement riches en échanges puisqu’ils nous donnent l’occasion de rencontrer des porteurs de projet du secteur.

Nathalie : Nous intervenons lors des journées pédagogiques organisées dans les crèches. Nous partons toujours des besoins du personnel en place, et en leur donnant des outils simples et accessibles.

On remarque vraiment que le personnel de la petite enfance est en grande souffrance depuis la crise sanitaire. Notre but, c’est de pouvoir refaire briller leurs yeux et de les sentir gonflés à bloc en repartant !

Delphine : Toute cette partie de notre travail nous enrichit énormément. Nous continuons d’apprendre au contact des professionnels de la petite enfance, en nous efforçant de leur soumettre des réponses pragmatiques.

Nous continuons aussi d’accompagner les familles à leur domicile en les conseillant sur la mise en place de la pédagogie Montessori à la maison. C’est une de ces familles qui nous a parlé au printemps dernier de Domissori, le service d’aide à la personne qui propose de la garde d’enfants à domicile inspirée de la posture Montessori.

Nathalie : C’est l’accompagnement qu’il aurait fallu à nos familles pendant nos années à la communauté enfantine ! A l’époque nos horaires d’ouverture étaient relativement restreints pour notre secteur d’activité, afin de faire passer le bien-être du petit enfant avant tout. Mais nos familles nous demandaient souvent comment trouver des personnes bienveillantes et formées à la pédagogie Montessori, pour pouvoir assurer une continuité pédagogique.

EDACADEMY : Et dans la famille Educ-up, vous avez donc fait la connaissance d’EDACADEMY à ce moment-là ?

Nathalie : Oui ! Nous avons pris contact avec leur équipe qui nous a parlé de l’ouverture du CFA avec la première promotion du CAP AEPE / Montessori. La complémentarité de ce double diplôme nous a tout de suite intéressées. Il ne néglige pas le côté pratique du diplôme d’état avec les thèmes classiques du CAP mais offre un double regard avec la pédagogie Montessori.

Les apprenants peuvent travailler directement après le diplôme, ils sont bien préparés. C’est intéressant de faire rentrer cette double casquette dans les crèches.

Delphine : La rencontre de Montessori avec le système classique va permettre de rendre la pédagogie accessible puisqu’elle rentrera dans les crèches d’état éligibles aux financements de la CAF.

Nous qui avons connu l’équivalence et ses lacunes, ainsi que le coté dévalorisant du métier d’assistante maternelle, nous avons envie de travailler à revaloriser les métiers du secteur de la petite enfance. Les gens doivent enfin comprendre que ces personnes interviennent à un moment fondamental du développement de l’enfant, le plus précieux ! C’est à ce moment-là qu’il faut poser de bonnes bases si l’on veut aider les enfants à grandir sereinement.

A ne pas considérer l’enfant comme un être intelligent, l’adulte agit de façon trop basique et ne se nourrit pas lui-même.

Nathalie : Aujourd’hui nous sommes en pleine préparation de nos cours pour le CFA qui débuteront en décembre. Nous collaborons aussi avec différentes crèches, avec un projet autour de la collaboration avec les familles pour l’une, la création d’un environnement préparé extérieur pour l’autre… Nous espérons les aider à retrouver du sens avec des gestes simples.

Nous sommes ravies de pouvoir faire évoluer le secteur de la petite enfance, et enthousiastes à l’idée de participer à la formation des futurs diplômés du double cursus CAP AEPE/ Montessori en partenariat avec l’ISMM. D’ici 4 ou 5 ans, il y aura dans les structures d’accueil plein de personnes qui pourront enfin changer le regard porté sur l’enfant dès son plus jeune âge !

📌 Retrouvez Nathalie Jacquier et Delphine Eminet dans notre parcours d’accompagnement à la parentalité “Apprendre à devenir parent : poser un regard différent sur mon enfant pour mieux l’accompagner”.

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